«Ceci n’est pas une cage» – La littérature en clef des champs, par Emma Martin

Emma Martin, chez Teaminside depuis 2015.

La trahison des images est l’une des plus célèbres peintures de Magritte. La toile représente une pipe, légendée de la façon suivante : « Ceci n’est pas une pipe ». L’artiste illustre le fait qu’un tableau, aussi fidèle soit-il, ne peut se substituer à l’objet qu’il imite. Il ne se bourre pas de tabac ni ne se fume (à moins d’avoir l’esprit aventureux ou une furieuse envie de faire mentir le peintre).

Si l’on se fie à ce raisonnement, un appartement n’est pas une cage. Un appartement est un appartement, qu’il s’agisse d’une studette insalubre au huitième étage d’un immeuble de guingois ou d’un six-pièces en duplex surplombant le lac d’Annecy. Or, depuis le 17 mars, chaque fenêtre semble avoir été scellée. Les barreaux se dérobent à la vue, mais ils n’en sont pas moins là ; même les plus sceptiques d’entre-nous se seront déjà retrouvés le front plaqué sur le grillage immatériel, désœuvrés et mis à mal par les habitudes.

Les confinés effeuillent les heures, comme ils le faisaient autrefois avec les fleurs blanches des amourettes publiques. Les soudards ont les coudes rigides à n’en plus pouvoir les lever, les extravertis se regardent le nombril, les coquets ne se pomponnent plus et les travailleurs sont forcément de l’ombre. Le matin, on peut apercevoir quelques joggeurs, le poing brandi vers le ciel, s’indignant : « Pourquoi moi ? » — ou serait-ce plutôt « Pourquoi nous ? » — tout en consultant leur montre (bientôt dix heures).

Voilà des années qu’il se cherche des remèdes à la mélancolie et des années qu’il est toujours le même. Cinéastes, poètes, plasticiens, musiciens, photographes, cuisiniers, artisans… tous l’auront déjà trouvée, chérie, transcendée. Révérée par Keats comme Peter Pan, Marko 93 et Einstein, l’imagination, puisqu’il faut bien la nommer, est le seul onguent dont je ne me défie. Elle s’applique en cataplasme sous des yeux à demi clos, se transfuse en jets d’encres de Chine et s’inhale en volutes sonores ; il faut laisser à chacun sa prédilection.

Donc, je lis, et j’écris. Peut-être aimeriez-vous me lire (ou m’écouter) aussi ?

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.